L’esprit « bio »
Anne Gros, 33 ans, est à la tête d’un vignoble de 6,5 ha, à Vosne-Romanée, dans la côte de Nuits. Ses hautes-côtes-de-nuits rouge et blanc, ses vosne, ses chambolle, ses clos-de-vougeot et ses richebourg font honneur à la Bourgogne. Rencontre avec une viticultrice qui se méfie des certitudes et qui tient à conserver sa liberté. Elle a adopté la démarche « bio », mais elle ne veut pas entendre parler de label.
– La viticulture « bio », est-ce la voie de l’avenir ?
Elle garantit le respect du sol, de la plante et du produit final. Elle suscite un grand intérêt dans la génération des 20-40 ans. Mais on peut faire de grands vins sans être « bio »…
– Pourquoi refusez-vous de vous engager pour obtenir le label !
J’ai adopté la démarche « bio » Depuis quatre ans, mes vignes sont labourées. L’année dernière je n’ai utilisé aucun traitement chimique. Mais je tiens avant tout à conserver ma liberté. Je ne veux pas avoir d’œillères, ni faire les choses de façon systématique. J’ai passé un an en « conversion », mais aujourd’hui je suis revenue en position d’observatrice. J’ai pris du recul. Chaque situation nécessite une réponse adaptée. Faut-il faire de l’anti-botrvtis ! Je me pose la question, je pèse le pour et le contre. Cette année, la totalité du vignoble a été conduit en biologie, mais j’ai traité contre le mildiou. Je ne veux pas non plus faire abstraction du S02. J’y tiens à certaines étapes clefs de la vinification. Alors que lorsqu’on est vraiment « bio », on a tendance à essayer de s’en passer.
– Et la biodynamie ?
Je m’y intéresse. Dans mon petit jardin, j’ai suivi le calendrier lunaire pendant deux ou trois ans. Mais je ne suis pas prête pour la vigne. Il faut du temps, de l’observation, des surfaces moins morcelées et une vraie conviction. C’est à dire ne pas se lancer en biodynamie seulement dans un but médiatique, comme le font certains.
– Qu’est-ce qu’une sensibilité féminine peut apporter au métier de vigneron ?
Je veux d’abord dire que dans la plupart des domaines viticoles, les femmes jouent un grand rôle. Mais elles restent dans l’ombre. Leur nom n’apparaît pas sur l’étiquette. Pourtant, il n’y pas de grand domaine sans la « patte » d’une femme. Pour le reste, c’est une question de personnalité. Je crois tout de même que nous avons plus le sens du détail, que nous sommes plus « tatillonnes », plus perfectionnistes… Le plus difficile, c’est de concilier le métier, la vie de femme, le travail de mère. Physiquement, c’est dur. Après une demi-journée à la vigne, un tour au bureau, des bouteilles à étiqueter, il faut encore trouver l’énergie de s’occuper des enfants le soir. I1 est donc indispensable de savoir gérer le temps, de s’organiser. Mais il y a encore des gens qui ne comprennent pas pourquoi je ne reçois pas le samedi après-midi…
– Le prix des grands vins de la côte de Nuits les a mis hors de portée de la plupart des amateurs. Trouvez-vous cela normal ?
Mes vins sont chers et cela me gêne. Mais j’établis mes tarifs en fonction de mes charges. Presque tout est réinvesti pour améliorer le potentiel qualitatif du domaine. Le marché évolue en dents de scie. Aujourd’hui, ça va bien, mais il y aura bientôt une petite crise. Je ne pourrai pas alors diminuer mes prix. On ne peut pas faire un grand vin à petit coût.
– Votre définition d’un grand Bourgogne rouge ?
L’harmonie. De l’équilibre, de la plénitude, de la concentration, mais aussi de l’élégance. J’aime les vins fondus, gras, avec de la matière, de l’onctuosité et du fruit. J’ai horreur de l’acidité et des tannins secs.
Propos recueillis par Jean-Philippe Chapelon